Le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes, journée de luttes pour mettre fin aux inégalités femmes-hommes et plus généralement pour obtenir des droits pour la moitié de la population opprimée par le patriarcat. Si cette date est désormais bien ancrée dans le calendrier des luttes, cela n’a pas toujours été le cas, le 8 mars étant longtemps qualifié de « Journée de la femme ». Nous vous proposons une plongée dans l’histoire de la construction de cette date historique, née il y a plus d’un siècle aux États-Unis.

L’origine de ce qui est aujourd’hui la journée internationale des droits des femmes remonte au début du XXe siècle, de l’autre côté de l’Atlantique. À l’appel du Socialist Party of America (Parti socialiste d’Amérique), une « Journée nationale de la femme » (National Woman’s Day) est célebrée dans tous les États-Unis le 28 février 1909 [1]. Mais rendons à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre : cette journée est née grâce à Theresa Serber Malkiel (1874-1949), ouvrière socialiste juive américaine et militante pour le droit de vote des femmes, qui est alors à la direction du Comité national des femmes du Parti socialiste d’Amérique [2].

Des origines socialistes

Trois ans plus tard, en 1910, l’Internationale socialiste organise son 8e congrès à Copenhague [3]. En parallèle de celui-ci se tient la conférence internationale des femmes. Sous l’impulsion de Clara Zetkin (1857-1933), et avec le soutien d’Alexandra Kollontaï (1872-1952), la proposition de créer une « Journée internationale des femmes » émerge. Elle s’inspire directement de la Journée nationale de la femme. ­Parmi les revendications portées figurent en bonne place ­celles du droit de vote des femmes, du droit au travail et de la fin des discriminations au travail. La proposition est approuvée à l’unanimité par les militantes siégeant à la conférence, soit plus de 100 femmes venant de 17 pays. Si aucune date n’est alors fixée pour cette célébration, le caractère annuel est toutefois présent.

L’année suivante, la première Journée internationale de la femme est célébrée, le 19 mars, dans quelques pays d’Europe (notamment l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suisse). Plus d’un million de femmes et d’hommes assistent aux rassemblements [4]. La Journée internationale des femmes est donc née à l’initiative du mouvement socialiste, « pour contrecarrer l’influence des groupes féministes sur les femmes du peuple », Clara Zetkin rejetant « l’alliance avec les “féministes de la bourgeoisie” » [5].

Pourquoi le 8 mars ?

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, plusieurs pays tels que l’Allemagne, l’Autriche, la France et la Russie célèbrent chaque année en mars la Journée internationale de la femme. La date du 8 mars émerge à la suite des manifestations d’ouvrières tenues ce jour-là en 1917 à Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), journée qui préfigure la révolution russe à venir. Cette « Journée internationale des ouvrières » fait date : après la guerre, le 8 mars qui devient le jour où les femmes se rassemblent, dans le monde entier, pour défendre leurs droits et en conquérir de nouveaux.

Une journée internationale de lutte

La Journée internationale de la femme s’institutionnalise au mitan des années 1970, devenant progressivement « Journée internationale des femmes » puis « Journée internationale des droits des femmes ». Ce changement sémantique va de pair avec une évolution politique, portée par les militantes du Mouvement de libération des femmes (MLF), mouvement féministe français non mixte créé en 1970 qui revendique la libre disposition du corps des femmes et remet en cause la société patriarcale.

En 1975, elles protestent contre l’« année internationale de la femme » proclamée par l’Organisation des Nations unies (ONU), s’élevant contre cette récupération des luttes transformées en « cause » par les dirigeants qui veulent montrer leur intérêt pour « la femme ». Les féministes matérialistes revendiquent la nécessaire distinction entre LA femme et LES femmes, les femmes étant des sujets et non des objets, plurielles et non identifiables à une entité féminine unique. Par ce pluriel, elles affirment la lutte contre l’idéal féminin créé par la domination masculine et le patriarcat qui veulent enfermer les femmes dans des carcans essentialistes [6].

Deux ans plus tard, en 1977, l’ONU officialise la « Journée internationale des femmes ». S’il n’est pas explicitement fait mention aux droits des femmes dans l’intitulé de la journée, le 8 mars est désormais officiellement reconnu comme une journée d’action et de mobilisation dédiée à la lutte pour les droits des femmes, l’égalité femmes-hommes et la justice. À ce jour, cette journée est l’une des 200 célébrations internationales portées par l’ONU [7].

En France, c’est en 1982, à l’initiative du MLF et d’Yvette Roudy (née en 1929), alors ministre des Droits de la femme sous François Mitterrand (1916-1996), que le 8 mars s’impose comme « Journée internationale des luttes des femmes » [8].

Vers la grève féministe

En 2017, les organisations féministes, les syndicats CGT, FSU et Solidaires et des associations appellent les femmes à ­faire grève le 8 mars à partir de 15 h 40. Cet horaire n’est pas choisi au hasard : il correspond à l’heure à partir de laquelle le travail est effectué gratuitement par les femmes, dont le salaire est, en moyenne, inférieur de 26% à celui des hommes [9].

Aujourd’hui, il nous incombe de faire du 8 mars une journée d’action féministe pour l’égalité des droits [10]. Le 8 mars, faisons la grève : au travail, dans nos foyers (grève des tâches ménagères, des courses…), partout où nous sommes présentes et indispensables. Interrompons toute activité productive et reproductive, formelle et informelle, rétribuée et gratuite. Participons aux actions et manifestations, réapproprions-nous les espaces publics ! Et continuons à faire en sorte que le 8 mars soit une journée de lutte mais aussi de victoire pour les droits des femmes et minorités de genre, partout dans le monde.

Céline (UCL Lyon)

[1] Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours, Agone, septembre 2002, chapitre 11. [2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Theresa_Serber_Malkiel [3] L’Internationale socialiste, également connue sous les noms de IIe Internationale ou Internationale ouvrière, est fondée à Paris en juillet 1889 par les partis socialistes et ouvriers d’Europe, à l’initiative entre autres de Friedrich Engels. Elle s’inscrit dans la continuité de l’Association internationale des travailleurs (AIT), dite Première Internationale (1864-1876), créée afin de coordonner le développement du mouvement ouvrier naissant dans les pays européens récemment industrialisés (notamment France, Angleterre, Allemagne, Italie). [4] https://dub.sh/7uRQaKI [5] https://lejournal.cnrs.fr/articles/journee-des-femmes-la-veritable-histoire-du-8-mars [6] https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Mars-1911-mars-2011-Un-siecle-de-journees-de-luttes-des-femmes [7] L’ONU désigne des journées, semaines, années ou encore décennies spécifiques afin de commémorer des événements ou des thèmes particuliers. Ces célébrations, qui sont généralement à l’initiative d’un ou de plusieurs États membres, sont ensuite établies par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies. Voir la liste des journées et semaines internationales sur le site de l’ONU : https://www.un.org/fr/observances/list-days-weeks. [8] Christine Bard, « Les usages politiques de l’histoire des femmes », dans Claire Andrieu et al., Politiques du passé, Presses universitaires de Provence, 2006, p. 71-82, https://doi.org/10.4000/books.pup.5886. [9] Un site avait été créé à l’époque mais n’a pas été maintenu. On en trouve trace dans les archives du web : web.archive.org/web/20170224220537/https://8mars15h40.fr/. [10] Voir la rubrique « Antipatriarcat » dans le présent numéro.

Chronologie : Les droits des femmes en France depuis 1944

Droit de vote

21 avril 1944 Ordonnance du Comité français de la Libération nationale qui accorde le droit de vote des femmes en Métropole. À titre de comparaison, plusieurs des pays limitrophes de la France accordent ce droit aux femmes des décennies plus tôt (le Royaume-Uni et l’Allemagne en 1918, la Belgique et le Luxembourg en 1919).
20 novembre 1944 Ordonnance accordant le droit de vote des femmes en Martinique, Guadeloupe et Réunion.
19 février 1945 Décret accordant le droit de vote des femmes en Guyane.
29 avril 1945 Les femmes françaises peuvent voter pour la première fois à l’occasion des élections municipales.

Droit à disposer de son corps

1967 Loi Neuwirth (nommée d’après Lucien Neuwirth, le député gaulliste qui la proposa) sur la dépénalisation de la contraception. Cette loi vient abroger celle du 31 juillet 1920 qui interdisait toute contraception mais également l’information sur les moyens contraceptifs. Les décrets d’application seront publiés cinq ans plus tard, en 1972 !
1975 Loi Veil sur l’IVG en « situation de détresse » (disposition abandonnée en 2014 seulement et contestée par des députés UMP). Son entrée en vigueur est prévue initialement pour une période de 5 ans, à titre expérimental. Elle est reconduite sans limite de temps par la loi no 79-1204 du 31 décembre 1979.
1992 Reconnaissance du viol conjugal (la chambre criminelle de la Cour de Cassation confirme sa jurisprudence).
2022 Allongement du délai pour avorter à 14 semaines de grossesse (soit 16 semaines d’aménorrhée).
4 mars 2024 Inscription de l’IVG dans la Constitution.*___*